Consommation d’alcool et de stupéfiants, banditisme aggravé, immoralité envers les encadreurs au sein des établissements scolaires, accoutrements déviants, réseaux de prostitution « placements » en bande organisée. Au Gabon, l’éducation des élèves se confronte aux mœurs de la société. Plusieurs facteurs seraient à l’origine de ces déviances juvéniles selon les explications obtenues lors de notre reportage sur la dépravation des mœurs au Gabon. Compréhension dans ce nouveau numéro de Regard.
L’éducation d’un enfant n’a que trois frontières : la maison, l’école et la rue « groupes de pairs ». Au Gabon, les jeunes scolarisés semblent avoir choisi la rue comme modèle de référence de socialisation. En témoigne, les vidéos amateurs de janvier 2021 qui ont inondé les réseaux sociaux, montrant des jeunes filles en tenues scolaires s’exhibant allègrement, seins nus, face caméra. Cette illustration n’est pas nouvelle, puisque depuis quelques années, la déchéance de la jeunesse est en marche au sein de la société gabonaise.
Les griefs ne manquent pas pour qualifier cette déchéance. Consommation d’alcool, consommation des stupéfiants, banditisme aggravé, immoralité envers les plus âgés, notamment les encadreurs au sein des établissements scolaires, accoutrements déviants, réseaux de prostitution « placements » en bande organisée sont autant des qualificatifs qui caractérisent le comportement des jeunes élèves aujourd’hui. Face à ce basculement, la société semble dépassée car, cycliques, ces phénomènes se superposent au fil des années. « J’ai été touchée, car la presse en parlait et c’est l’image des établissements qui a été écornée par les agissements de certains élèves. Mais c’est l’image de la jeunesse gabonaise toute entière qui est salie », lâche Maritha, élève en classe de première au Lycée Paul Emane Eyeghe, reconnaissant la gravité des agissements de certains élèves.
La rue comme modèle de socialisation
Si certains élèves, une infime partie, ont encore les pieds sur terre, il faut dire que la grande majorité scolarisée dans les lycées et collèges du pays ont choisi la rue comme modèle d’éducation. Souvent à l’opposé de l’éducation reçue des parents ou de l’école, l’expression de l’éducation de la rue (par les groupes de pairs) est à contre sens des références de socialisation que requiert la société. Chacun a pu l’apprécier à juste titre, avec les vidéo amateurs tournées en janvier 2021 par des jeunes filles, et ce n’est parfois pas à tort que devant ces agissements obscènes, des questions se posent.
Ces déviances sociales font depuis quelques années débat au Gabon face aux solutions inopérantes. La seule responsabilité des élèves, acteurs de ces phénomènes ne suffit pas toujours à comprendre ce virement social. Le laisser-aller dont bénéficie la consommation de certains programmes télévisés et par généralisation, les réseaux sociaux au Gabon ont une grande part de responsabilité.
« Ces agissements sont à mon sens blâmables. Car, alors que les réseaux sociaux sont un moyen pour communiquer ou s’informer, nous les jeunes, nous les utilisons pour nous amuser », s’indigne Olla Alain Patrick, élève en terminale B à l’Académie privée Fotso Mobile. Cet avis est également partagé par le Psychologue Wenceslas Wenda Boulingui, spécialiste en Sciences de l’Education et de développement. Pour ce dernier, il y a une surexposition de l’enfant aux programmes venus de l’occident. Lesquels participent parfois au développement des pathologies telles que la cleptomanie et la mythomanie. Mais au-delà, d’autres paliers de responsabilité sont pointés du doigt.
La responsabilité parentale en question
« Si la jeunesse n’a pas toujours raison, dans ses comportements, dans ses attitudes, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort » disait l’ancien président français, François Mitterrand. Au-delà donc des facteurs qui peuvent influencer les agissements des enfants scolarisés, la cellule familiale a sa part de responsabilité dans l’explication de ce phénomène.
En effet, c’est à la cellule familiale et à la société en générale qu’incombe la responsabilité de l’éducation et de la formation d’un citoyen responsable. Pris de manière isolée, l’identité d’un individu est le résultat de sa socialisation par ses parents. La famille est donc la première instance de socialisation d’un enfant. A la famille, il faut ajouter l’école, les groupes des pairs, la mass-média et les réseaux sociaux. Or depuis plusieurs années au Gabon, explique le sociologue de l’Education, enseignant à l’université Omar Bongo Ondimba, « il y a un délitement du contrôle social, qui laisse prospérer des comportements déviants et des pratiques condamnables ».
Alors que la cellule familiale et l’école jouent un rôle prépondérant dans l’éducation de l’individu, celles-ci sont démissionnaires.Le problème de la dépravation des mœurs en milieu scolaire au Gabon reste une grosse épine pour la société gabonaise. Pour ce qui est des parents, leur responsabilité est établie, vu que ces acteurs ont démissionné dans leur rôle d’éducation de leurs enfants. En plus d’être démissionnaire, certains sont mêmes complices. Par exemple, « en allant payer des grosses sommes d’argent afin de libérer un enfant qui a commis un délit », s’insurge Linda Magui Koumba, parent d’élèves résident au quartier Sotega à Libreville.
L’école à bout de souffle
Malgré un rôle tout aussi important dans la lutte contre ce phénomène social, l’école pointe elle aussi, l’échec de la responsabilité parentale. C’est ce que pense un responsable d’établissement de la capitale gabonaise, Libreville, ayant requis l’anonymat. Pour ce dernier, « l’éducation commence à la maison. Les bases élémentaires sont inculquées au sein de la cellule familiale. » De son avis, « il y a manifestement une démission parentale à tous les niveaux ». Ce qui explique que l’école à son niveau se sente impuissante malgré les alternatives de lutte envisagées.
Convoqués le 22 mars par le Secrétariat général du ministère de l’éducation dans le cadre du « Bilan sur le dispositif sécuritaire au 1er quadrimestre », les chefs d’établissements ont esquissé des nouvelles pistes de lutte contre ce phénomène. Parmi celles-ci, l’implication de tous les acteurs à la sécurité, la sensibilisation des auxiliaires de sécurité sur l’importance de leur rôle au sein des établissements, la mutualisation des idées par bassin pédagogique, l’entretien d’un contact direct avec le poste de contrôle mixte à Gros Bouquet, la mobilisation des Chefs d’établissements dans les contrôles internes, etc.
Toutes ces actions ont pour objectif d’éradiquer ce phénomène et de rétablir l’intégrité institutionnelle de l’école qui n’est plus ce lieu sacré, privé et protégé de tous les maux de la société. Cette Institution sociale organisée, dont la vocation a toujours été de transmettre les valeurs sociales et républicaines à la nouvelle génération.
Michaël Moukouangui Moukala, Yannick Tsakou, Warren Okolo, Zaina Tenmi